Le « jardin de grands-mères », c’est ainsi qu’on appelle ce jardin au charme désuet, rempli d’un joyeux foisonnement de fleurs aussi simples que chamarrées, parfois injustement oubliées ou méprisées au profit de nouvelles obtentions flashy mais sans âme. Pour Marie Delcroix, toutefois, c’est bien plus que cela. C’est une histoire de vie. Qui continue de s’écrire à Vezin, dans les Deux-Sèvres, dans la ferme qui appartenait à sa chère Mamie Odette et, avant elle, à la mère de cette dernière, Mémé Zélia. C’est là, dans le Poitou, qu’elle a mis les mains dans la terre alors qu’elle n’avait que 5 ou 6 ans. « Alain, mon père, avait aussi le jardinage dans le sang, raconte Marie en souriant. Mais que ce soit dans sa maison de campagne en Normandie ou dans les différents jardins que nous avons pu posséder, il me montrait, m’expliquait mais ne me laissait pas trop faire. » Sa grand-mère, au contraire, tandis qu’elle plantait ses bulbes de tulipes ou de glaïeuls dans le lopin de terre qu’elle retrouvait pour les vacances, la laissait bêcher son petit coin. « Je me souviens aussi des iris, reprend-elle. Il y en avait beaucoup et j’adorais leur parfum qui me touche encore aujourd’hui, tout comme celui de la glycine. Et puis des roses, bien sûr, dont je suis toujours une grande amoureuse. »
Cette demeure, longère typique des Deux-Sèvres, se transmet depuis cinq générations. Marie se remémore avec émotion ces années d’enfance où, avec ses frères et sœurs, elle venait passer des vacances « rustiques mais heureuses », avec les toilettes au fond du jardin et un confort spartiate. Au décès de sa grand-mère Odette, elle n’a que 20 ans et hérite deux ans plus tard de cette maison qui lui est si chère et qu’elle rebaptise La Maison du Cœur. Mais il est hors de question de ne pas entretenir les lieux, au risque de voir la végétation rapidement tout engloutir. Commencent alors des allers-retours fréquents entre Poitiers, où elle étudie l’espagnol, et Vezin. Elle se met à planter, notamment beaucoup de lavande, qui demande peu d’attention une fois installée et garantit floraisons abondantes et fidélisation des butineurs et pollinisateurs. Mais aussi des pins parasols, promesse d’une protection future contre les vents dominants et le soleil qui frappe plus fort qu’on ne l’imagine dans le Poitou.
Au fur et à mesure, le jardin se fait plus coquet, tout comme la bâtisse. Qui s’agrandit bientôt quand Marie, désormais professeure en région parisienne, parvient à racheter la partie qui, pendant de longues années, était sortie de la famille. « Pour moi, c’était un rêve de gamine qui se réalisait, tout redevenait comme autrefois ! » Très vite, le mur en parpaings qui divisait la propriété est détruit. S’ensuit un gros travail de défrichage qui la voit dès lors à la tête d’un terrain de jeu végétal deux fois plus grand. « On a débuté par la construction d’une terrasse autour de la maison et la plantation des arbres pour faire un peu d’ombre, notamment des oliviers. » Sur la partie la moins exposée au soleil, une rangée d’hortensias témoigne de l’intérêt « un peu tardif » de Marie pour cette plante. Partout, des rosiers grimpants ou lianes colonisent les vieux murs, comme ‘Pierre de Ronsard’ ou ‘Paul Noël’, avec des floraisons étalées pour en profiter autant que possible. Une seconde terrasse côté nord s’accompagne, elle aussi, d’oliviers et de lavande mais également de gros buis « déménagés » depuis le coin potager et d’hélichrysums qui complètent cette touche très méditerranéenne, aussi belle que sobre.
Il y a quatre ans, une grange qui s’effondrait a libéré un autre espace occupé désormais par une piscine, ceinte des murs conservés de l’ancienne construction, et un nouveau jardin. Une zone que les rosiers ont particulièrement appréciée, autant grâce aux rajouts de la terre provenant du creusement du bassin qu’en raison de cette situation bien abritée. Tout semble s’y plaire et c’est tant mieux puisque Marie, avec son époux Dom et leurs trois filles, ne vient que lors de vacances et de grands week-ends, prétextes à de nécessaires séances de jardinage.
Et comme si cela ne suffisait pas et pour boucher les rares trous de son emploi du temps, Marie, avec sa collègue Delphine Gervais, elle aussi jardinière, a créé un blog, Des Pensées au Jardin (despenseesaujardin.com), et un compte Instagram du même nom (instagram.com/des.pensees.au.jardin). Les deux amies passionnées y témoignent de leur amour du jardin et de leur goût pour la décoration aux accents romantiques. Un bon moyen, puisque le parc de la Maison du Cœur ne se visite pas, de suivre l’évolution de ce jardin de mère-grand qui défie le temps.
La vieille ferme de Mamie Odette s’appelle désormais la Maison du Cœur, preuve s’il en est de l’attachement de Marie à cette longère poitevine où est né son amour pour le jardin et où elle passe la majeure partie de ses vacances, occupées principalement à rendre les lieux aussi beaux que possible.
Judicieusement placé, ce charmant miroir camouflant un poteau donne accès à un autre monde. Une mise en abyme qui permet de profiter des roses à l’infini…
Derrière le rideau des népétas, la pierre s’est transformée en banc offrant une vue imprenable sur le jardin et les oliviers ainsi qu’un piédestal de choix pour divers objets chinés, comme ces lanternes.
Dans un jardin de grand-mère, le grand-père n’est jamais très loin ! Ici, la brouette de Pépé Célestin semble attendre qu’une paire de bras vigoureux l’empoigne. Peut-être pour aller remplir ces jolis pots à lait ?
Sous le très romantique rosier grimpant ‘Tiffany’, il suffit de s’asseoir pour une pause poétique et contemplative – une leçon de sa mère, Annie, qui, si elle ne jardinait pas, aimait les jardins et lui a appris à les admirer.
Sur la terrasse en gravier, la table témoigne de l’amour de Marie pour les roses mais aussi de son goût en matière de décoration, pour créer une atmosphère champêtre et délicate.
Dans un jardin bâti sur les moments heureux du passé, il n’est pas étonnant que Marie ait conservé son fauteuil de jeune mariée – cela ne fait que trois ans qu’elle a dit « oui » à Dom ! Devant lui, un rosier ‘Sultane’ semble faire dégringoler un voile végétal de circonstance.
Au-dessus de la porte d’entrée, les vieux murs se prêtent volontiers au caractère coureur des rosiers grimpants. Ceux-ci, en retour, les ornent d’un entablement original, tout en feuillages et douces floraisons. Une entrée accueillante sertie de roses.
Entre deux portes, le vieil escabeau qui appartenait à Mémé Léontine, la grand-mère de Dom, fait désormais office de support pour une petite collection de roses. Et confirme que nous sommes décidément bien dans un jardin de grands-mères !
Là où tout a commencé. Marie, dans le jardin de la ferme familiale, reproduit encore aujourd’hui les gestes que sa grand-mère Odette lui a montrés quand elle était enfant et confectionne, comme elle qui les aimait tant, de beaux bouquets de roses.
Le nouvel espace créé par Marie et son mari Dom à l’emplacement d’une vieille grange effondrée. Lors des fortes chaleurs estivales, c’est le cœur du paradis. Une pergola est envahie par deux rosiers, ‘Cyclamen Pierre de Ronsard’ (à gauche) et ‘Clair Matin’. Les murs centenaires en pierre calcaire du Pays mellois font des supports parfaits pour ces grimpants exubérants.