Aux origines du jardin de Berchigranges, il y a une série de belles rencontres. En 1978, Thierry Dronet découvre ce qui n’était alors qu’une ancienne carrière abandonnée, jouxtant un chalet cerné par 3 300 épicéas, à 700 mètres d’altitude, non loin de Granges-sur-Vologne. Difficile de se projeter ; pourtant, il se voit tout de suite y vivre, et, après en avoir fait l’acquisition, accomplit pas à pas, pendant des années, un travail de titan pour faire naître là un jardin, supprimant des sapins pour gagner de l’espace, charriant plus de 50 tonnes de terre pour rendre cultivable cette parcelle granitique. Dès lors, cet endroit auparavant inhospitalier et sauvage, perdu au milieu de la forêt, peut enfin se prêter aux plantations. Restait à tout imaginer, pour le muer en un écrin de verdure inspirant…
Le jardinier amateur croise en 1994 la route de Monique, une pépiniériste de la région : elle épouse le maître des lieux en même temps que son domaine, et s’attelle à ses côtés à en faire un éden en pleine nature, apprivoisant ses caractéristiques singulières. Ainsi, avec deux sources dévalant les bois, l’eau est omniprésente et demande à être canalisée. Thierry et Monique agrandissent la pièce d’eau naturelle postée devant l’ancien atelier, l’aménagent avec un pont, délimitent petits ruisseaux, cascades chuchotantes et autres chemins aquatiques. « Sur les berges, nous avons planté des filipendules, des reines des prés et beaucoup de primevères ou de ligulaires, qui se plaisent dans cet environnement humide », explique Monique. Au fil des années, elle dessine avec Thierry différents espaces, un labyrinthe, le jardin bohémien, le jardin du grand monde ou un singulier jardin de mousse. Dissimulé dans un sous-bois, ce dernier est jonché de pierres aux formes étranges et tapissé de mousses. Il s’en dégage une atmosphère particulière, presque féérique. Autre réussite à quatre mains, l’incroyable chemin de gazon, une sorte de tapis vert qui forme un lacet dans le paysage. Une véritable marque de fabrique, qui demande un entretien de chaque instant : Thierry le tond tous les deux jours, l’enrichit de nourriture organique, le brosse au râteau à faner et l’aère quotidiennement.
Guidée par son amour pour les plantes, la pépiniériste férue de jardins à l’anglaise a laissé libre cours à sa créativité, semant çà et là des centaines d’arbres et des milliers de fleurs, 875 variétés de narcisses, des fougères locales, des bouleaux à foison, des plantes himalayennes ou des vivaces des plaines. « Nos découvertes botaniques ou les échanges avec des pépiniéristes lors de fêtes de plantes ont été un riche terreau pour notre jardin. Mais il a fallu faire des tests pour acclimater certaines variétés en altitude, se tromper et faire preuve d’humilité, comme tout bon jardinier qui se respecte, pour parvenir à ce résultat », analyse-t-elle. Pour autant, le couple laisse aussi la végétation sauvage s’épanouir en ces lieux qu’elle avait autrefois totalement colonisés. Une démarche initiée dès le début du projet par Thierry, attentif à inviter sur son terrain les plantes peuplant le fossé ou la forêt avoisinants. « Et si on ne peut plus prélever les plantes, on récolte leurs graines », s’enthousiasme son épouse. On trouve ainsi plus de 200 variétés de fougères dans le massif vosgien ; elles ont forcément une place de choix à Berchigranges. Depuis 1997, le jardin du même nom est ouvert au grand public. Les Dronet auraient eu tort de garder ce petit paradis secret ! Ils ont plutôt choisi de partager généreusement avec leurs visiteurs les différentes ambiances de leur monde végétal étalé sur 3 hectares, kaléidoscope de senteurs et de couleurs. Sa dimension sensible et poétique, à vivre au fil des saisons, se contemple à l’envi depuis les nombreux bancs qu’ont installés les propriétaires. Comme un cadeau, et une invitation à la rêverie, qui a guidé au fil du temps la métamorphose de cet endroit unique.