Est-ce que vous parlez à vos orchidées ?
Moi, non. C’est un peu anthropomorphique, même si on présume que le chant des oiseaux aide à ouvrir les stomates des feuilles. Certains clients de l’orchidéiste Sylvain Georges1 le font. Sa boutique unique, foisonnant de couleurs et de fleurs inconnues, m’a intriguée. J’ai commencé à écrire, et en parallèle à cultiver des orchidées. Culture et écriture partagent beaucoup de points communs, le temps long, les découvertes que l’on fait en avançant…
En avez-vous tué beaucoup ?
Quelques-unes. Les faire refleurir, même si on y arrive, demande un peu d’expérience. C’était le souci des Européens au XIXe siècle : les chasseurs d’orchidées dévastaient les forêts pour en ramener ces fleurs rares. L’Anglais William Cattley parvient à reproduire celle que l’on va appeler « cattleya ». Les Français Vacherot et Lecoufle réussissent ensuite à la cloner. Aujourd’hui, des milliers de mètres carrés de serres aux Pays-Bas et en Allemagne sont consacrés à sa culture… La fleur libre qui pousse comme elle peut, avec peu, dans la jungle, est devenue accessoire de mode – Proust allait chercher rue Royale chaque matin un cattleya parfumé pour sa boutonnière.
L’orchidomania actuelle, après celle du XIXe siècle, se focalise sur l’orchidée papillon, le fameux phalaenopsis… Pourquoi elle ?
Il existe beaucoup de phalaenopsis, mais on connaît surtout ses fleurons blancs, devenus un objet de design, typique des spas et des halls d’hôtel… Elle pousse la tête en bas dans les forêts, mais on s’est habitués à la voir droite, soutenue par un tuteur : un pur produit industriel qui me déplaît. C’est une continuation de la frénésie qui a enflammé la bourgeoisie et l’aristocratie. Elles ont trouvé dans l’orchidée un faire-valoir exprimant leur statut social : il fallait de l’argent pour aller la chercher, chauffer son salon pour la préserver… Son épopée raconte le capitalisme et l’exploitation des ressources naturelles par les Européens.
Les visiteurs de Mille & une orchidées, le salon annuel au MNHN2, à Paris, évoquent, tout comme vous, d’abord leur variété et leur sensualité.
Bien sûr, elle est liée à la fertilité et à la fécondité. Dans la mythologie, Orchis est le fils d’un satyre et d’une nymphe. Certaines de ses 30 000 espèces sauvages savent se travestir en insectes. L’orchidée a survécu aux dinosaures et aux météorites, elle nous survivra sans doute ; elle a su pousser grâce à un champignon à partir du chaos.
Les Angiospermes ont 220 millions d’années, les Orchidacées entre 80 et 90 millions, l’homme bien moins. Quelle leçon nous donnent ces fleurs ?
Le personnage central de mon livre réussit à prendre racine et à se construire avec des gens assez généreux pour transmettre. Mais son savoir repose sur la destruction de la nature, c’est donc ambivalent. Comment, à partir de ses origines, inventer une autre manière de faire société et d’être au monde ?
C’est mon questionnement.
1. Sylvain Georges, 4, rue des Petits-Pères, 75002 Paris.
2. Mille & une orchidées, du 7 février au 4 mars, Muséum national d’histoire naturelle, 75005 Paris.
Réflexion sur le capitalisme et l’essentialisation du vivant, Orchidéiste (éd. Les Avrils) séduit par l’approche multiforme d’une famille botanique singulière, celle des orchidées. Vidya Narine attribue aussi à ses études à l’École du Louvre, spécialisation art contemporain, cette façon plurielle d’envisager le motif. Après avoir dirigé une start-up dans la mode, la créatrice de la revue Sève désire se consacrer le plus possible à l’écriture…
Réflexion sur le capitalisme et l’essentialisation du vivant, Orchidéiste (éd. Les Avrils) séduit par l’approche multiforme d’une famille botanique singulière, celle des orchidées. Vidya Narine attribue aussi à ses études à l’École du Louvre, spécialisation art contemporain, cette façon plurielle d’envisager le motif. Après avoir dirigé une start-up dans la mode, la créatrice de la revue Sève désire se consacrer le plus possible à l’écriture…